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Euthanasie pour souffrance psychique: est-il (enfin) permis de poser des questions ?

Le Washington Post nous fait parvenir une nouvelle remarquable au sujet de notre propre pays : « Une experte en euthanasie sous le feu des critiques » (« Euthanasie-experte onder vuur », DS, 28.10.2017). Que la presse flamande ait repris cette information est compréhensible, et c'est une bonne chose. Pourtant, cet article bien documenté ne fait pas le Buzz.

De quoi s'agit-il?

Une journaliste d'Associated Press (AP) a mis la main sur une correspondance dans laquelle le Professeur Distelmans, inspirateur du LEIF (Levenseindeinformatieforum, trad. le Forum d'Information pour la Fin de Vie) et de ULteam (Centrum voor Uitklaring van Levensvragen, trad. Centre d'accompagnement des Questions concernant la Fin de vie, à Wemmel) déclare se distancier de la psychiatre Lieve Thienpont, avec qui il a pourtant collaboré pendant de nombreuses années. Distelmans ne veut plus ni recevoir ni assurer les demandes d'euthanasies adressées à ULteam et provenant du centre Vonkel, centre d'accueil pour des personnes en questionnement par rapport à l'euthanasie, et où Thienpont est la psychiatre en chef.

Il est également demandé à Vonkel de ne plus se présenter sous la bannière des médecins LEIF. Il s'avérerait en effet, que les divergences de points de vue entre Distelmans et Thienpont au sujet de « la façon dont les demandes d'euthanasie doivent être traitées » sont soudainement trop importantes.

L'injonction de cesser toute collaboration, ainsi que l'a expliqué Distelmans, vient aussi du fait que Vonkel collabore avec des "collègues qui ont déclaré à maintes reprises ne pas respecter la loi sur l'euthanasie".

Il y a de quoi s'inquiéter de ce conflit entre médecins connus pour être des fervents défenseurs de la loi sur l'euthanasie et d'une application flexible de la loi sur l'euthanasie, notamment auprès de patients qui ne sont pas en phase terminale, mais font état d'une souffrance psychique insupportable.

Qui lit l'article d'Associated Press peut constater que, sous l'égide d'une psychiatre au moins, Lieve Thienpont, s'est mise en place une pratique de l'euthanasie pour des patients psychiatriques, qui suscite un vif questionnement, et pas uniquement chez les proches des patients euthanasiés.

Thienpont quant à elle qualifie la polémique de « désaccord interne » à propos des procédures mais aussi à propos de sa visibilité dans les médias. Elle déclare que du point de vue médical et clinique, elle n'a commis aucun acte répréhensible. La preuve en est, dit-elle, qu'elle n'a jamais été rappelée à l'ordre par la Commission Fédérale de Contrôle et d'Evaluation. Il est à noter toutefois que Distelmans est depuis longtemps le président de cette même commission. Distelmans lui-même a par ailleurs déjà fait comprendre que l'article du Washington Post est exagéré. En effet, pour lui aussi, il s'agit là simplement d'une divergence d'opinion quant à la meilleure façon d'accompagner vers sa fin le patient aux prises avec une souffrance psychique insupportable. Ni l'un ni l'autre ne remettent en cause la loi ou l'euthanasie pour seule souffrance psychique.

Le fait que ces deux figures centrales de la pratique de l'euthanasie semblent hausser les épaules, est carrément alarmant.

Comment se fait-il que le Dr. Thienpont n'ait jamais été interpellée si le Professeur Distelmans lui-même suggère dans sa lettre que la loi n'a pas toujours été respectée ? Le fait que Distelmans porte ici une double casquette, celle de médecin promouvant l'euthanasie et celle de « contrôleur » de l'euthanasie, ne devrait-il pas inquiéter tout un chacun dans ce pays ? Au cours des dernières années, il y a eu de timides appels pour évaluer de façon sérieuse la Commission de Contrôle. Jusqu'à présent, cette protestation est restée lettre morte, permettant à Distelmans de proclamer qu'en fin de compte tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. D'autant plus qu'il y a maintenant un recours en justice : n'est-ce là pas la preuve que la Commission fait son travail ?

Toutefois, les problèmes relatifs à la pratique de l'euthanasie dans nos institutions psychiatriques devraient nous préoccuper grandement.

Des pratiques inquiétantes concernent certainement, mais pas uniquement, la négligence dont certaines personnes font preuve. Toutefois, plus inquiétant encore, est la radicale impossibilité, sur base des termes de la loi actuelle, de dénoncer les actes d'euthanasie problématiques. Il est urgent de procéder à une évaluation circonstancielle de la loi, et d'exiger la transparence en ce qui la concerne tant pour les responsables politiques que pour la société civile au sens large, que - et cette lettre en témoigne - pour les acteurs psy du terrain clinique. De plus en plus de médecins, de cliniciens et de soignants témoignent de leur malaise face à la situation actuelle.

Le Washington Post cite notamment le Professeur et psychiatre Stephan Claes de la KU Leuven qui souligne sans équivoque que trop de demandes et d'actes d'euthanasies sont le fait d'un seul et même médecin. Ce psychiatre avait déjà exprimé son inquiétude dans le passé. A noter aussi la déclaration du Professeur Joris Vandenberghe de la KU Leuven, soulignant le fait que « dans ce pays, de nombreux patients ont été euthanasiés trop rapidement et trop facilement ». Voilà pourquoi certains psychiatres tirent la sonnette d'alarme. Il apparaît de plus en plus clairement que ce sont souvent des femmes. Des personnes sont donc mortes, alors que leur mort aurait dû être évitée.

Ne pas pouvoir ou ne pas vouloir en prendre conscience équivaut à tout le moins à une politique de l'autruche.

Ces aberrations sont indissociables de la logique-même de la loi dépénalisant l'euthanasie. Car l'euthanasie pour souffrance psychique insupportable et incurable est hautement problématique. Il s'agit là en effet de personnes qui ne sont pas en phase terminale et qui pourraient, en principe, vivre encore de nombreuses années. Une extrême prudence s'impose donc, tant sur le plan clinique que sur le plan juridique.

Il nous semble que le problème essentiel surgit lorsqu'il s'agit de se prononcer quant au caractère incurable d'une souffrance psychique. Le nœud du problème nous semble être le fait que la dimension subjective de l'évaluation du caractère désespéré de cette souffrance ne peut être évitée.

Il est évident qu'un patient aux prises avec une absence de perspectives exprime ce désespoir, et son désir d'en finir avec sa souffrance. Mais nombreux sont les cliniciens qui, précisément à cet endroit, vont rester au plus proche de leur patient, portés par la conviction: « D'autres voies sont possibles. Nous ne t'abandonnons pas. ».

vouloir soutenir leur patient, portés par la conviction : "Nous prenons un autre engagement, un autre défi que celui de la mort ».

La loi actuelle désavoue de façon fatale, la nécessité de cette dynamique vivifiante, cette dynamique absolument au cœur d'une thérapie psychique et psychiatrique.

Et aujourd'hui, on en réalise les conséquences.

Porter plainte à propos d'une négligence sur ce plan ne peut dès lors qu'aboutir dans un "no man's land" juridique. Car dans la mesure où la loi ne stipule pas les critères permettant de qualifier ce qu'est une souffrance « insupportable » et « incurable », les aberrations ne peuvent être qualifiés de négligences. Force est de constater que les critères inscrits dans la loi sont infiniment interprétables. C'est ce que la pratique nous enseigne. Que l'euthanasie soit accordée ou non dépend, in fine, de l'interprétation de tel ou tel psychiatre, sur base de ses propres suppositions et des symptômes qu'exprime le patient.

Même s'ils sont conscients du poids et de la souffrance de leurs patients, de nombreux cliniciens considèrent que ce caractère inévitablement arbitraire rend la situation sur le terrain intolérable. Il y a bel et bien eu des morts que l'on aurait pu éviter. Garder le silence plus longtemps est assimilable à une faute par négligence coupable.

Affinez les critères de souffrance psychique, faites évaluer chaque cas par une commission a priori, ou, de préférence, reconsidérez la loi sur l'euthanasie afin de ne plus y inclure la seule souffrance psychique insupportable et incurable comme motif d'euthanasie, voilà ce qui serait véritablement porteur de vie. 

Affinez les critères de souffrance psychique, faites évaluer chaque cas par une commission a priori, ou, de préférence, reconsidérez la loi sur l'euthanasie afin de ne plus y inclure la seule souffrance psychique insupportable et incurable comme motif d'euthanasie, voilà ce qui serait véritablement porteur de vie.

C'est pourquoi, par la présente, nous adressons un appel à l'ensemble des professionnels de la santé afin d'ouvrir un débat fondamental à propos de l'euthanasie pour cause de souffrance psychique. Le fait que l'Association Flamande des Psychiatres (VVP) travaille actuellement sur la façon d'appliquer des critères de prudence est important, mais c'est loin d'être suffisant.

Il est urgent d'entamer une réflexion éthique en concertation avec tous les acteurs concernés - soignants, patients, familles, proches maintenant qu'il s'avère que la loi sur l'euthanasie pour seule souffrance psychique permet de tolérer aussi l'intolérable.